De la paupérisation de l’acupuncture, par Jean Motte (directeur du Centre Imhotep)
Nous sommes en 2010. Bientôt les feuilles vont quitter leur arbre pour aller nourrir la terre. C’est le temps de l’introspection comme le recommande le So Wen. Alors n’hésitons pas un instant à aller chercher en nous les vérités lovées dans des coins obscurs de notre Roun (notre âme). Cette petite réflexion est une réponse à certaines fédérations ou écoles qui souhaitent intégrer dans leur cursus de formation en acupuncture des études de médecine classique.
Quels sont les sujets qui, selon eux, devraient être enseignés?
 
L’anatomie humaine.
Est-il nécessaire d’apprendre l’anatomie médicale détaillée en cours d’acupuncture? Je crois bien que non. L’anatomie sur laquelle l’acupuncteur travaille est définie par les méridiens, les trajets profonds, les points d’acupuncture. Ce qui est essentiel dans les études est donc de bien localiser les points et les trajets. C’est pourquoi nous avons en première année au centre Imhotep un encadrement des élèves qui sont corrigés directement sur le patient quant à la localisation des points et des trajets.
 
Mais l’anatomie que nous apprenons en cours inclut aussi les techniques précises d’implantation des aiguilles qui sont montrées en petits groupes. Il est évident que des points du sternum sont piqués différemment des points du visage.
 
La physiologie
Il est intéressant de connaître les échanges respiratoires, l’oxygénation,le rythme cardiaque, les protides, lipides etc. Mais c’est oublier que l’acupuncture a aussi sa physiologie propre.
 
Le langage que nous employons est certainement plus imagé que celui de la médecine classique bien que les deux restent abscons pour le profane. En effet que dirait celui-ci si l’acupuncteur lui expliquait sa déficience d’énergie de défense par une non assimilation de Ku Tchi avec Yuan Tchi et donc une production de Tsong Tchi diminuée? Pourtant la physiologie dont nous parlons est bien la réalité des échanges dans le corps humain. Employer des termes savants ne changera pas la vision de l’acupuncteur et n’améliorera pas ses qualités intrinsèques.
 
Les pathologies
Apprendre les termes médicaux afin de “jouer” au docteur, c’est perdre l’essence de cet art qui appréhende le patient totalement différemment de la médecine classique. C’est nier ou renier les études d’acupuncture car celles-ci comprennent des listes de symptômes à connaître pour pouvoir exercer correctement cet art.
 
Prenons un exemple : dans les douleurs cardiaques avec risque d’infarctus ou d’angine de poitrine.
 
Symptômes en médecine classique pour l’infarctus:
 
1) La douleur dans la poitrine, à la mâchoire, dans les bras ou les poignets ne sont pas systématiquement présentes.
 
2) Il peut s’agir simplement de rots à répétition, de hoquet, d’impression d’indigestion, quelquefois de maux de tête, d’agitation, d’hémiplégie, etc.
 
3) Plus classiquement, le patient se plaint d’une difficulté à respirer et d’une certaine forme d’asthénie (fatigue plus ou moins importante, en tout cas inhabituelle).
 
4) Les douleurs qualifiées de précordiales ou rétrosternales (le patient appuie son poing fermé sur le thorax pour décrire sa douleur) sont le plus souvent accompagnées d’anxiété, de sueurs froides, de vomissements ou de nausées, et quelquefois d’agitation.
 
5) Une autre caractéristique de cette douleur est sa survenue au repos ou après un effort, le plus souvent le matin, ou après un repas copieux.
 
Symptômes en acupuncture pour l’organe coeur:
 
1) Douleur sur le trajet de méridien.
Je décris succinctement celui-ci pour montrer la logique à ceux qui pensent se dispenser d’apprendre leurs cours : part du coeur et gros vaisseaux va à l’intestin grêle, poumon gorge oeil. Nous retrouvons le point N°1 décrit ci-dessus.
 
2) Dans la plénitude du coeur nous lisons des palpitations, de la soif, une surexcitation mentale et physique, des vomissements.
 
3) Dans la pathologie du méridien à l’interne nous trouvons une difficulté respiratoire et fatigue.
 
4) Dans le cas de vide d’énergie correcte nous découvrons aussi les sueurs, les troubles du rythme, le visage pâle.
 
Nous retrouvons bien tout ce qui est décrit dans la littérature médicale classique ! Et l’acupuncteur ne s’arrête pas là. Il a aussi à apprendre la couleur des urines, des yeux, de la peau. Les différentes températures corporelles surtout sur le bras et enfin cette douleur caractéristique en barre au niveau de la poitrine.
 
La médecine d’urgence
Donner des cours de médecine d’urgence fait croire aux acupuncteurs qu’ils seront plus aptes à discerner une urgence médicale.
 
C’est une des clés de la formation au Centre Imhotep. Nous sommes attentifs à ce que chaque élève qui sortira diplômé de notre école ait la capacité de juger si le patient doit être orienté rapidement vers son médecin traitant, à l’hôpital ou bien si celui-ci peut recevoir une séance d’acupuncture. Pour cela nous avons des livres canoniques (le So Wen et le Ling Tchrou) qui nous décrivent les cas où nous ne devons piquer sous aucun prétexte. Il y a par exemple certaines formes de pouls mais aussi ce que nous nommons les cinq interdits.
 
Nous insistons toujours sur le fait que les médicaments ne doivent être arrêtés ou diminués que par le médecin traitant. Nous ne demandons jamais aux patients de le faire car nous sommes conscients que nous n’avons pas la formation nécessaire pour une telle responsabilité.
 
En conclusion, je crois que l’acupuncture enseignée avec tout son contenu tant symbolique que théorique et pratique, permet d’avoir sa place dans notre pays en tant que thérapeutique de prévention. Elle se suffit à elle-même et n’a pas besoin de rajouts médicaux. Nous donnons les moyens nécessaires à chaque étudiant de devenir un être responsable et respectueux du patient et de son art. C’est le critère fondamental de notre école et cela nous permet de nous associer à la longue chaîne de ceux qui nous ont précédés.
 
D’un point de vue sociologique il est étonnant de voir que le jeune médecin et le jeune acupuncteur sont en profond désaccord. Chacun campe sur ses ergots. Et puis le temps passe, les années s’écoulent estompant petit à petit ces inanités et faisant place à la tolérance. Celle-ci implique le respect tant des uns que des autres. C’est pour garder ce respect que nous devons préserver ce qui nous fut légué sans en altérer le contenu par un langage et un savoir inapproprié.
 
“Alterius non sit qui suus esse potest”
 
(Il n’appartient à personne celui qui peut s’appartenir à lui-même)
 
Jean Motte, directeur du centre Imhotep
 
 
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